It’s just a dream, right ? [ft. Morphée]

Le sommeil avait été difficile à trouver ce soir-là. Les maux de ventre et les nausées m’avaient longtemps tenue éveillée. Mais finalement, mon esprit avait sombré. Et j’espérais bien pouvoir partir pour le monde des rêves. Je n’en avais plus eu l’occasion depuis l’arrivée soudaine de cette maladie et ça commençait sérieusement à me manquer ! Après tout, la vie dans les rêves se révélait sans cesse plus trépidante que la vraie vie, que ma vraie vie.

Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, après je ne sais combien de temps, le décor qui m’entourait ne correspondait en rien à celui de ma chambre. Au lieu des murs tapissés de posters sombres, un large espace verdoyant s’étendait à perte de vue. Les brindilles d’herbe se balançaient sur le même rythme que les feuilles des arbres longeant un sentier de terre battue, tel un véritable orchestre qui jouait sa plus belle symphonie sous les directives d’une brise douce et légère. S’il existait un dieu des rêves, je ne le remercierais probablement jamais assez pour ce cadeau. Ma prière avait été exaucée.

Cet endroit me semblait familier. Tout du moins, j’avais au plus profond de moi cette impression d’y être venue très récemment, mais je ne parvenais pas à me resituer quel était cet endroit et quand y étais-je venue.

Non loin de là se trouvait une surface d’eau. Un lac sur lequel vagabondaient quelques canards. Il était même possible d’apercevoir quelques poissons qui venaient frôler la surface de l’eau, poussés par leur curiosité ou par la présence d’un quelconque insecte imprudent.

Ravie par la beauté de la scène, je m’approchais de la rive pour me placer à genoux au bord de l’eau. La surface était claire, presque transparente. Étrange, dans mes souvenirs le lac était pollué par les détritus des touristes. Quoi ?

Mes souvenirs?

Ça y est, c’était en train de me revenir. Du moins, j’en avais désormais la certitude. J’étais déjà venue dans à cet endroit. Non pas en rêve, mais dans la vraie vie. Toutefois, je ne parvenais toujours pas à déterminer où se trouvait cet endroit. Tout ce dont j’étais certaine, c’est que ce parc dans lequel je me trouvais m’avait suffisamment marquée pour que je puisse le visualiser dans un rêve.

Ou bien cette impression était-elle le fruit du rêve ? Il arrive bien souvent que nous ayons l’impression de connaître un endroit ou une personne dans un rêve alors qu’il s’agit de la première fois que nous les rencontrons.

Dans tous les cas, je n’allais pas me plaindre. En m’endormant, j’avais espéré rêvé. Le rêve est désormais à ma disposition, je n’allais pas m’en priver !

Ce n’est qu’en regardant mon reflet dans l’eau que je remarquai mon apparence. J’avais le teint pâle, certes, mais c’était habituel pour moi. Le point positif résidait dans le fait que ce teint n’était pas blafard, comme celui que j’arborais en ce moment dans la vraie vie, suite à la maladie qui me forçait à rester enfermée chez moi. Par contre, je reconnaissais la robe avec laquelle j’étais vêtue. C’était celle que j’aimais porter lors de mes promenades en pleine journée d’été ensoleillée. Une petite robe légère, noire comme la plupart de mes tenues, m’arrivant tout juste au-dessus des genoux.

La couleur du tissu et le ciel d’un bleu éclatant faisaient ressortir un peu plus la pâleur de ma peau. Mon reflet me donnait l’impression qu’un spectre se dessinait à la surface du lac.

Le spectre de la Mort…

À cette pensée, je laissai échapper un petit rire d’entre mes lèvres. Les rayons du soleil venaient caresser mes épaules masquées par les simples bretelles de la robe. Même s’il ne s’agissait que d’un rêve, j’eus l’impression de frissonner sous cette fausse sensation de chaleur. Je ne pus m’empêcher de fermer les yeux, comme pour mieux profiter de cet instant tant désiré.

Non seulement j’étais en train de rêver, mais en plus, ce rêve était agréable. J’en avais même oublié que je ne parvenais pas à deviner quel était cet endroit.

Soudain, un bruit brisa le calme de la nature qui m’entourait. Un bruit de pas, mêlé au froissement de l’herbe. Bientôt, un son similaire perça jusqu’à mes oreilles. Quelqu’un marchait, non loin de moi.

Rouvrant les yeux, mais sans me retourner, j’appelai :

« Qui est-ce ? »

Dans la vraie vie, il aurait été plus sage de me retourner. Mais dans un rêve, tout sera effacé à mon réveil. Qu’importe la personne qui se trouve en ces lieux, tout échange qui pourrait se faire sera vain et ne pourrait en rien changer l’avenir qui m’attendait au réveil.

Ma question resta en suspens, laissant à nouveau place au silence. Peut-être ces bruits de pas ne provenaient que d’un quelconque animal sauvage qui passait derrière moi. Je refermais lentement les yeux, lorsque ces crissements d’herbes qui venaient d’attirer mon attention reprirent, se faisant peu à peu plus insistants. Jusqu’à s’arrêter soudainement, non loin de moi.

Rouvrant les yeux et posant mon regard sur la calme surface du lac, je vis mon reflet au côté duquel se tenait un homme. Du moins son reflet. Lorsque nos regards se croisèrent par l’intermédiaire de ces images dans l’eau, je ne pouvais le nier, une sensation étrange parcourut mon corps, tel un faible courant électrique. Du moins était-ce la sensation que mon cerveau me faisait ressentir au travers de ce songe.

Le bleu de ses yeux ne mirent pas longtemps à faire naître des images de l’océan dans mon esprit. L’océan, cette vaste étendue d’eau au centre de laquelle ce lac devant nous ne serait qu’une goutte parmi tant d’autre. L’océan, cet espace bleu qui grouillait de vie. Mais ô combien de vies n’avait-il enlevé depuis la nuit des temps ? De combien de morts était-il l’origine ? C’étaient ces deux forces que j’avais l’impression de percevoir à la surface du lac en contemplant nos deux reflets. Le calme d’un roulement de vague et la pâleur de la mort.

Lorsque cet inconnu se pencha vers moi, murmurant de douces salutations à mon égard, il me saisit la main, m’amenant à me relever pour lui faire face. En temps normal, j’aurai cherché à me dégager nonchalamment de son emprise. Mais après tout, nous étions dans un rêve. Il n’avait nullement l’air menaçant. Comment mon subconscient pourrait-il faire de cet endroit idyllique un cauchemar en y amenant un monstre ?

Ce n’est que lorsqu’il se pencha pour venir caresser le dos de ma main d’un léger baiser que je pris attention à sa tenue. Une tenue élégante, qui lui seyait à merveille. Était-il mon idéal masculin ? Peut-être, je n’en savais rien. À vrai dire, je ne m’étais jamais posée une telle question. Après tout, il était bien trop rare que l’on m’aborde pour que je prête réellement attention à ce genre de futilités. Mais je me voyais contrainte d’admettre que cet homme avait ce petit quelque chose en plus. Peut-être que, quelque part au fond de moi, je m’étais forgé une image de l’homme parfait. De celui qui pourrait avoir une chose de m’acquérir toute à sa cause. Et mon subconscient était peut-être en train d’utiliser ce rêve pour le me présenter.

Si c’était le cas, autant en profiter ? Comment les choses pourraient-elles mal tourner dans ce rêve si doux ?

Lorsqu’il passa ses doigts sur la peau de mon visage, un frisson me parcourut. L’envie de presser ma joue contre cette main me tenaillait, mais je résistais. Après tout, un rêve restait un rêve. Une illusion fragile qui pouvait se dissiper en un clin d’oeil. Alors je me décidai à ne rien brusquer, me laissant bercer par les gestes de cet inconnu.

C’est après avoir embrassé ma main que l’homme se présenta à moi. Étrangement, contrairement à un rêve ordinaire, je percevais clairement ses paroles, me donnant l’impression, l’espace d’un bref instant, que ce moment était bien plus réel qu’il n’en paraissait.

« C’est donc à vous que je dois ce joli décor ? J’espérais justement pouvoir remercier un jour le dieu des rêves de m’avoir permise de rêver cette nuit… »

Ma voix n’était qu’un murmure qui cherchait à ne pas briser ce moment qui présentait ce petit quelque chose de magique.

Lorsque le prénommé Morphée glissa l’une de ses mains à ma taille pour m’attirer contre lui, je me figeai le temps d’une seconde ou deux, avant de me rappeler que tout ceci n’était qu’un rêve et que je ne risquais rien. Détendue, je laissai mes mains se poser délicatement, mais timidement, sur le torse de ce dieu apparu de nul part.

« Et que me vaut l’honneur de la visite d’un dieu ? »

Mon regard d’émeraude restait figé dans le sien, contemplant l’océan que je pouvais y percevoir.

Décidément, oui, les rêves se révélaient parfois bien meilleurs que ce que la vraie vie pouvait nous offrir. Et ce rêve, je ne saurais dire pourquoi, mais pour rien au monde je n’aurais voulu qu’il s’arrête. Alors, si le dieu des rêves existe réellement, j’espérais sincèrement, par pitié, qu’il ne mette point fin à ce moment.

Je me plaisais à regarder les iris de cet individu qui prétendait se nommer Morphée et être le dieu des rêves et du sommeil. Non, il ne le prétendait pas. Il l’était. C’était mon rêve, et si une personne inconnue au sein de ce rêve venait à se présenter sous une certaine identité, pourquoi la remettrais-je en doute ? Être méfiante envers les inconnus, c’était une vérité bonne à ne mettre en pratique que dans la vraie vie. Pas ici. Quoiqu’il en soit, ses iris m’envoûtaient. Je n’avais pas envie de le lâcher du regard.

Malgré ma main posée sur son torse, je n’osais pas le caresser, lui rendre la tendresse avec laquelle il parcourrait les traits de mon visage. Chacun des contacts de sa peau sur la mienne me faisait frissonner. Et lorsqu’il se mit à sourire, j’eus l’impression que mon coeur avait manqué plusieurs battements. Je ne savais plus où poser mon regard : dans le sien ou sur ses lèvres ? Alors que sa main posée sur ma taille m’attirait à lui, je me sentis défaillir un peu plus. Cela n’avait beau être qu’un rêve, je ressentais comme une chaleur qui émanait de son corps. Et malgré le soleil qui rayonnait dans ce parc, la chaleur que Morphée dégageait était plus que la bienvenue.

« Comme les gens diraient, vous avez mis du temps à venir m’enlacer de vos bras pour qu’enfin je trouve le sommeil. Mais l’effort semble en valoir la peine… »

Je disais cela en pensant à l’instant présent. Oui, j’avais eu raison de me forcer à dormir. Mais ô combien j’aurais aimés être dans les bras d’un tel homme cette nuit, et non pas seulement dans un rêve.

Je lui demandai alors quelle raison pouvait bien amener un dieu à rendre visite dans le rêve d’une simple mortelle comme moi. Sa réponse me fit sourire. L’ennui. Comme c’était étrange. Sûrement encore un tour de mon subconscient. Mes rêves me servaient bien souvent à m’échapper de l’ennui de la vie réelle. Ce rêve devenait décidément très intéressant.

C’est ce moment qu’il choisit pour m’inviter à danser. Mais comment pourrions-nous nous y prendre ? Il n’y avait pas la moindre musique en ces lieux. Et, comme s’il lisait dans mes pensées, il fit magiquement apparaître un petit kiosque non loin de nous. Je ne me voyais pas, mais sûrement avais-je les yeux remplis d’étoiles et d’émerveillement.

Je le laissai glisser ses doigts entre les miens, savourant ce doux contact. Et tandis qu’il m’emmenait vers cette piste sortie de nulle part, je me risquais à lui prodiguer quelques légères caresses sur le dos de sa main, à l’aide de mon pouce.

Lorsqu’il m’aide à gravir les trois petites marches, j’étais presque tentée de faire exprès d’en louper une, juste pour qu’il me rattrape et que je sois encore plus près de lui. Mais je me devais de garder l’image d’une femme digne pour espérer ne point faire fuir ce dieu.

À nouveau, il se pencha vers moi et il renouvela sa proposition pour une danse. Sans hésiter, je glissais timidement mais délicatement les doigts sur sa joue, puis sous son menton pour relever son visage vers le mien et plonger mes iris dans les siennes.

« Si vous me pardonnez mes piètres qualités de danseuse, ce serait un honneur pour moi que d’offrir mon premier slow à un homme aussi charmant que vous. »

Ce n’est qu’après coup que je me rendis compte de ma sottise. Je ne pus empêcher le rouge de me monter au joue. Morphée m’impressionnait, et je me sentais comme une frêle créature à ses côtés. Je ne voulais pas qu’il parte, mais dans le fond, je ressentais une peur de le décevoir.

À nouveau, ce fut lui qui rompit le silence, demandant, à juste titre, mon identité.

« Willow, simple mortelle honorée par votre présence. »

M’apprêtant à partir dans un slow avec le dieu des rêves, je posai timidement une main sur son épaule, prête à me laisser guider par ses pas de danses. Mon regard se noyant toujours dans le sien.

Du kiosque dans lequel nous nous trouvions émanait une douce musique. Pourtant, aucun orchestre n'était visible, ni même le moindre musicien. Malgré cela, je pouvais réellement entendre cette mélodie, je la sentais vibrer dans ce corps, mon corps, qui aurait dû être intangible. Que les rêves pouvaient être mystérieux ! Et pourtant, bien qu'issu des tréfonds de ma conscience, ce songe semblait si réel. Chacun des contacts avec cet être, ce prétendu dieu, ne cessait d'éveiller en moi des émotions qui m'étaient jusqu'alors encore inconnues. Les tressaillements de ma peau allaient et venaient entre les légers frémissements et les longs frissons, ces derniers faisant se hérisser les cheveux le long de ma nuque.

Morphée n'était-il point censé être le dieu des rêves, et non pas celui de l'électricité ? Alors pourquoi mon corps était-il intégralement parcouru par ces milles fourmillement à chacun de nos contacts, aussi légers soient-ils ?

Et à nouveau, il m'électrisa d'un simple geste. Ses doigts sur ma joue, pourtant déjà bien rouge, me fit rougir de plus belle. Probablement mon visage n'avait-il jamais possédé un teint aussi coloré qu'en cet instant. Malheureusement, tout cela n'était qu'un rêve, mais je me devais de ne point y songer, par crainte de voir ce précieux instant se briser aussi subitement qu'il ne s'était présenté à moi.

Mon corps présentait toutes les difficultés du monde à s'harmoniser avec la musique ambiante. Il lui aurait pourtant été bien nécessaire de se préparer à la danse qui ne tarderait pas à poser ses premiers pas. Mais ce corps n'avait d'attrait que pour ces caresses prodiguées avec une douceur et une tendresse infinies. Mes yeux, quant à eux, ne parvenaient à se détacher de ce sourire qui m'était destiné, de ces lèvres se faisant plus attirantes au gré du temps.

Un frisson. Encore. Cette fois, il était dû aux doigts de Morphée se promenant le long de mon dos, remontant du creux des reins après avoir quitté subtilement mes hanches. Mais quand avait-il délaissé ma joue pour cet endroit ? J'étais tellement absorbée par la situation que plus rien d'autre ne semblait exister. J'étais une frêle créature découvrant de nouvelles sensations, s'abandonnant aux mains d'un inconnu qui se prétendait être un dieu des temps anciens.

Mais tout ceci n'était qu'un rêve. Pas besoin de se méfier. J'étais entre de bonnes mains.

Sans que je ne m'en sois rendue compte, ma tenue s'était transformée, passant d'une simple robe d'été à un élégant tissu idéal pour une petite danse. Etait-ce vraiment Morphée face à moi ? Si nous n'avions point été dans un songe, ce romantisme m'aurait amenée à plutôt parier sur une incarnation d'Apollon. La musique, si douce, s'avérait jusqu'ici impuissante à m'emporter dans ses bras. Au contraire, elle ne faisait qu'aider mon corps à suivre ses envies. Et sans le réaliser, l'une de mes mains était venue se loger dans la nuque de mon visiteur, les doigts s'entremêlant à ses cheveux.

Souhaitant réaliser un pas pour me rapprocher de lui, je constatai que même les chaussures que je portais avaient changé. Bien que loin d'être habituée à porter des talons si haut, je savais au fond de moi que marcher ne me poserait pas de difficulté. Après tout, nous étions dans un rêve. Dans mon rêve. Et Morphée serait là pour veiller à ce que tout se déroule au mieux.

L'une de ses mains posée dans mon dos, il vint s'emparer de ma main libre avec l'autre. Et doucement, un pas après l'autre, il me conduisit dans cette danse, une valse comme probablement je n'aurais jamais pu connaitre mieux pour une première fois. Le décor autour de nous, ces arbres, cette verdure, ce lac non loin de là, tout cela n'avait plus la moindre importance. Tout cela s'effaçait de mon attention à chaque pas. Plus rien d'autre que lui et moi ne comptait. Nos corps se frôlaient, se rapprochaient, s'éloignaient pour revenir au contact l'un de l'autre. Plus rien d'autre n'avait plus d'importance que cette danse, nos corps s'harmonisant au fil de nos pas, rythmé par cette mélodie faisant vibrer l'air autour de nous. Cette mélodie qui, tout doucement, arriva à son terme.

Pas une fois je n'avais marché sur ses pieds. Aurais-je été capable de cet exploit dans la vraie vie ? Je ne pouvais en être certaine, mais les paroles du dieu, ses compliments, me tirèrent un sourire aux lèvres.

« C'est que j'ai eu la chance d'avoir le plus habile des partenaires pour me conduire. »

Les dernières notes de cette promenade mélodieuse se présentèrent à nous et, à contre-coeur, je le regardai s'écarter doucement de moi et s'incliner, avant de me complimenter sur ma robe.

Pendant un instant, je laissai le silence flotter autour de nous. Cet instant ne dura probablement qu'une seconde, mais tant de choses éclatèrent en moi. Mon coeur battait à m'en rompre la poitrine, laissant ses pulsations se fait ressentir partout dans mon corps. Mon souffle se faisait court. Qu'étais-je censé faire ? J'étais dans un rêve, certes. Tout aurait dû m'être permis. Mais j'avais peur d'aller trop loin, de succomber à des désirs qui me laisseraient un immense vide au réveil.

Rapidement, mais délicatement, j'effaçai la distance qui me séparait de mon cavalier. Mes doigts se posèrent sur sa joue, l'amenant à se redresser. Je pris ensuite appui contre lui, les mains apposées à son torse. Mon regard se plongea dans le sien, et quelques mots sortirent de ma bouche dans un souffle poussé par une voix saisie par l'émotion et, malgré moi, une légère crainte.

« Combien de temps nous reste-t-il avant votre départ ? »

Au fond de moi, je redoutais la réponse. Mais j'avais besoin de savoir. Je voulais qu'il reste. Que nous restions ici. Mais était-ce seulement possible ?

Alors que je prenais doucement appui contre mon cavalier de ce bal improvisé, mon regard plongé dans le sien, je sentis ses mains se poser sur mes hanches. Ces mains qui me gardaient contre lui. Je sentis le rouge me monter aux joues à cette proximité. Une boule ne tarda pas à se former au sein de mon ventre. Une vague de chaleur comme jamais je n'en avais connue ne tarda pas à s'emparer de mon être entier. Mais nous étions dans un rêve. Pouvait-il seulement ressentir ce que je moi-même je semblais ressentir ? Son coeur pouvait-il entendre le mien battre à tout rompre dans ma poitrine ? Rien n'en était moins sûr. De toute façon, tout ceci prendrait fin lorsque je m'éveillerai, et peut-être ne le reverrai-je jamais.

Dans mon inquiétude, je lui avais demandé combien de temps il nous restait. Sa réponse ne me convenait pas spécialement. Certes, il n'avait pas tort. Loin de là. Mais que n'aurais-je point donné pour que ce moment soit réel ? Ou plus encore, qu'il ne s'arrête jamais ? Evidemment, choisir qu'un instant tel que celui-ci dure éternellement signifierait que je ne pourrais vivre que celui-ci jusqu'à la fin des temps. Et donc, il deviendrait une réalité. Ma réalité. Notre réalité ? Malheureusement, j'étais bien loin de disposer d'un tel pouvoir. Et tout vraisemblablement, Morphée lui-même n'en semblait point capable.

Essayant de tout mon coeur de chasser ces sombres pensées, le dieu des rêves pose sa main sur mon visage, déplaçant de manière si délicate mes cheveux que j'en fermai les yeux, comme pour mieux savourer et profiter de cet instant. Ses mots résonnèrent à mes oreilles comme une mélodie plus belle encore que celle qui remplissait le kiosque quelques instants auparavant.

Sans m'en rendre compte, une larme se mit doucement à couler sur ma joue. Une simple larme de joie, de soulagement, provoquée par ces quelques mots.

Sans m'en rendre compte, le décor autour de nous se faisait de plus en plus trouble. La surface du lac n'était plus qu'un amas de couleurs sans forme, se  mêlant à ce qui était autrefois une belle prairie verdoyante. Alors que je rouvrai les yeux, plongeant à nouveau mon regard dans celui de Morphée qui, lui, se redressait, m'enlaçant un peu plus auprès de lui.

Soudainement, il me saisit par la taille, me relevant pour venir me poser sur le bois de la barrière du kiosque avant d'embrasser doucement le dos ma main. Remuant légèrement pour mieux m'installer, je glissais délicatement mes bras autour de son cou et l'attirais à moi. Son visage était désormais à la hauteur du mien et seuls quelques misérables centimètres les séparaient l'un de l'autre.

Et pendant ce temps, les marches sur lesquelles il m'avait faite monter se faisaient troubles à leur tour, mais encore une fois, je ne remarquais rien, bien trop occupée à savoir si je devais ou non franchir le pas.

Pourrais-je seulement encore passer une bonne nuit sans le revoir ? Sans refaire de tels rêves ?

Déglutissant avec difficulté sous les hésitations m'habitant, je pris mon courage à deux mains. Après tout, ce n'était qu'un rêve. Mais il fallait bien que je le remercie comme il se dit pour cet instant magique.

Et ainsi, j'avançais mes lèvres à la rencontre du dieu des rêves, du dieu de mes rêves.

A l'instant où nos lèvres allèrent se toucher, le noir s'installa.


Le noir laissa sa place au décor de ma chambre. Ou tout du moins ce que le faible éclairage de la rue permettait d'entrevoir entre les épaisses tenturent qui couvraient ma chambre. La somptueuse robe de bal que m'avait offerte Morphée avait laissé place à mon vieux pyjama usé.

J'eus tout juste le temps de me tourner sur le côté, rendant dans un seau les quelques aliments que j'avais avalés quelques heures plus tôt.

Foutue maladie...

Je restais quelques instants dans cette position peu confortable, cherchant à maitriser les tremblements qui me saisissaient. Après quelques dizaines de secondes, je reposais ma tête sur mon oreiller, repensant au rêve que je venais de faire.

C'est à ce moment qu'une immense tristesse s'empara de moi. Si seulement tout ceci avait été réel. Si seulement j'avais pu m'éveiller dans les bras de Morphée. Sans pouvoir les contenir, de nombreux sanglots éclatèrent. J'avais rencontré l'homme idéal, celui qui avait fait chavirer mon coeur en un court instant. Celui qui avait changé ce lieu de mauvais souvenirs, ce lieu où j'avais réalisé mon malaise avant de me retrouver dans cet état, en un lieu magique et agréable à vivre.

Mais tout ceci n'était finalement qu'un rêve... Mon rêve.

Notre rêve ?