Murmures Nacrés [pv]

La nuit s’était montrée bien trop longue et bien trop courte à la fois. Longue parce que tout ce qui constituait Callan se languissait de retrouver son jumeau au plus vite. Courte parce qu’il n’avait pas eu le temps de fermer l’œil avant le lever du jour. La conversation qu’il avait eu avec son frère n’avait eu de cesse de tourbillonner encore et encore dans son esprit. Les regards échangés, la lourdeur des vérités avouées, et la sensation tant délivrante que douloureuse de l’avoir touché et senti sous la pulpe de ses doigts. Si proche, et pourtant si loin. Orfeo ne lui avait pas dressé l’accueil auquel n’importe qui aurait pu s’attendre. Mais à quoi s’était-il attendu exactement ? Pas à grand-chose. En vérité, le sorcier s’était engouffré dans la brèche qu’il s’était lui-même ouvert à la Fondation tout comme il aurait pu le faire dans un parfait nuage de confusion et d’incertitude. Et si son jumeau lui avait permis d’y voir plus clair sur certains aspects, cela avait été pour mieux l’enfoncer dans un trouble d’un tout autre genre. Celui-ci s’était emprisonné l’esprit avec une peur irrationnelle. Une foi désespérée qui s’évertuait à creuser un gouffre entre eux, qu’Orfeo bénissait au moins tout autant que Callan maudissait et désapprouvait.  

Les premières lueurs de l’aube avaient percé le bleu obscur de la nuit avant que le musicien n’ait pu trouver une réponse à ses interrogations. Il avait pourtant bien essayé d’échapper à la danse entêtée de ses questions. Il avait cherché à se perdre dans des bras chargés d’un effluve féminin. D’oublier le monde et ses moults complications au creux d’une chaleur humaine, de soupirs brûlants et de quelques mouvements de rein. Mais c’était revenu. Les affres de son passé étaient réapparues. Elles s’étaient laissées étouffées pour mieux réapparaître et s’imposer dans sa tête. Retrouver son frère. Retrouver ses parents. Retrouver cette existence qui lui a été arrachée bien des années auparavant. Callan pouvait-il seulement croire que tout serait aussi simple ? Que les choses reprendraient leur cours naturel ? Il espérait encore que les souvenirs remontent à la surface. Qu’ils échappent à l’emprise cruelle et jalouse de l’océan, pour lui redonner ce que l’eau lui avait dérobé. Et quelque part, c’était également effrayant. Il l’avait souhaité durant si longtemps. A présent, c’était presque à portée de main. Il craignait de s’en saisir trop fort, et de les sentir se briser sous l’étau de ses doigts. Ou à l’inverse, de les voir échapper à sa prise et s’envoler encore un peu plus loin. Comme Orfeo. Comme sa moitié, qui s’échinait à vouloir le distancer.

La rock star avait abandonné sa voiture non sans une once d’hésitation. On lui avait demandé de monter dans une jeep. Il n’appréciait pas vraiment le manque d’explications qu’on avait concéder à lui apporter. Mais le sorcier avait une confiance sourde en son frère. Alors il était monté, sans plus s’attarder. Ces gens n’avaient que peu d’intérêt à ses yeux. Pour l’heure, seule la perspective de retrouver Orfeo guidait ses gestes. Il avait passé le voyage les yeux perdus dans les rayons du soleil naissant. L’horizon s’éclairait à mesure que les secondes s’effilaient, apportant un peu de lumière et de chaleur après une nuit particulièrement froide. Et puis enfin, le véhicule s’était arrêté. Il était descendu avant que quelqu’un n’ait eu le temps de venir lui ouvrir la portière. Ses pas vifs l’avaient porté jusqu’à la petite bâtisse qu’on lui avait désigné. On frappa à la porte, et bientôt le panneau de bois s’ouvrit pour lui laisser le passage. Expirant l’air comprimé dans ses poumons, Callan chercha à évacuer l’étrange tension qui demeurait sur ses épaules depuis qu’il avait quitté la Fondation la veille et tenta de faire taire l’impatience qui pétillait sous la surface de sa peau.

Son jumeau était là. Figé au centre de la pièce. Il intercepta son regard argenté au moment où il se tourna vers lui. Aussitôt, l’anxiété latente et presque imperceptible au fond de lui s’apaisa. Une nouvelle chaleur, douce et insaisissable, se répandit dans son buste. L’ombre d’un sourire effleura le coin de ses lèvres. Callan s’était immobilisé après s’être avancé de quelques pas. La porte se referma derrière lui. La question de son frère flotta un moment dans l’air, le temps qu’il s’imprègne de nouveau du timbre unique de sa voix. Ses yeux azur dévièrent finalement, avant qu’il ne réponde enfin.

- Une nuit étrange disons ... souffla-t-il.

Son attention plana sur l’environnement qui les entourait. Une pudeur paradoxale l’empêchait de fondre ses prunelles au fond de celle du sorcier alors qu’il avouait à demi-mot ne pas avoir fermé l’œil de la nuit. Ça ne l’empêchait pas d’être là pourtant. Tout comme ça ne l’empêcherait pas d’aller jusqu’au bout de son idée et de retrouver sa famille. Le musicien était coutumier des nuits sans sommeil. C’était probablement le commun des personnalités comme la sienne. Orfeo en revanche ... Un nouveau sourire menaça se poindre sur sa bouche lorsqu’il regarda son jumeau de nouveau. Ses traits étaient marqués par les émotions des dernières heures. Angoisse ou fatigue ? Le soleil ignorait s’il devait se sentir touché par l’insomnie de la lune. Il acquiesça en apprenant qu’ils seraient seuls désormais. Il ne chercha pas à savoir si c’était lié à la volonté d’Orfeo de garder tout ceci dans le secret le plus intime. Certainement. Ses jambes se réanimèrent pour lui permettre de rompre doucement la distance. Callan s’approcha, jusqu’à se retrouver véritablement face à lui.

- Je suis prêt, assura-t-il d’une voix basse en hochant la tête. Il leva le bras pour tendre la main vers son frère, comme une silencieuse invitation. Et toi ? Es-tu prêt à y aller avec moi ?

Ses iris scrutèrent avec intensité les réactions susceptibles d’apparaître sur son faciès. A nouveau, il se retrouva à lutter contre l’attraction viscérale que son jumeau exerçait inconsciemment sur lui. Il prit sur lui pour ne pas briser les derniers espaces qui les séparaient, pour ne pas tendre un peu plus la main et toucher cette peau qui l’appelait. Pour contrer ça, il laissa à nouveau ses yeux dériver pour mieux capter les nuances d’or du soleil levant.

- Tu penses qu’ils sont déjà réveillés ?

Un sourcil interrogateur se haussa sur son front. Après tout, l’heure était particulièrement matinale. Une nouvelle hésitation fit dérailler sa voix.

- Est-ce que ... Est-ce qu’ils sont prévenus de notre venue ?

Callan humecta ses lèvres dans un reflexe quelque peu soucieux. Tout comme ses retrouvailles avec son frère, il ne parvenait pas à imaginer le déroulé de la situation. Ce dont il était certain, en revanche, c’est qu’il n’irait pas sans Orfeo. Ça, c’était inaltérable.