Sparkle ✧ Orfeo

La vitesse est une source inépuisable d’allégresse qui me donne un sentiment de liberté. J’adore cette sensation, la seule qui me donne véritablement l’impression d’être moi. Pas un rebus de la société, pas un être faible incapable de se défendre, pas le fils parfait qu’attendent mes parents. Juste moi. Aussi, je skate, slalomant entre les arbres.  Je refais le monde dans ma tête, enfin j’y vois clair. Même si je sais que mon geste d’il y a quelques jours n’aurait rien résolu, je ne peux m’empêcher de ne pas regretter mon geste. Ce n’était pas un appel de désespoir, j’en ai trop poussé sans qu’ils soient entendus. Je suis seul dans ce bordel qu’est ma tête et ma vie et je me dois de le régler d’une manière ou d’une autre. Même si je n’ai pas encore trop compris pourquoi …

La seule raison pour laquelle je n’avais encore rien retenté était la présence de Dragos. Une promesse étant une promesse, je ne pouvais décemment pas intenter à ma vie alors que je la lui avais offerte. Alors que me voilà coincé dans ce dilemme cornélien, je ralenti l’allure à l’approche d’un groupe de jolies filles. Quasi instantanément, mon estomac se retourne sous l’effet d’une faim mordante. Je me sens malade quand je comprends ce dont mon corps à besoin. C’est à peine si je parviens à me retenir jusqu’à une petite ruelle attenante pour vider le contenu de mon tube digestif. Et encore … A croire que le flux ne s’arretera donc jamais … Même sans avoir rien dans le ventre, je continue de vomir. C’est douloureux, j’ai les larmes aux yeux, c’est à ne plus en finir.

J’ai envie de supplier pour que cela cesse, mais qui pourrais bien m’entendre … ? Aussi, en désespoir de cause, je m’adresse au responsable de la situation dans l’espoir qu’il puisse me sortir de ce calvaire. « Stop … S’il te plait … » Cette phrase que j'ai si souvent dit dans d’autres circonstances … Les larmes se mettent à couler cette fois si sous l’effet de l’humiliation. Rien n’a jamais été stoppé par un s’il te plait. Pourtant Dragos reste silencieux pour l’instant aussi j’endure en silence, rafraichissant la décoration de la ruelle. Est-ce que les mauvaises herbes qui malgré le béton ont réussi à pousser survivront à ce nouvel assaut acide ? Je l’espère. Aussi quand la voix grave de Dragos résonne dans ma tête, je crois un ma délivrance. « Il me faut manger, maintenant ! Plus tu t’opposeras à moi, plus cela sera difficile pour toi. » Seigneur, jamais je ne pourrais boire du sang humain. Toute cette souffrance … Depuis toujours, je n’ai jamais pu supporter la violence aussi bien sur d’autres êtres vivants que sur moi. Est-ce le moment d’avouer que gamin, je voulais devenir le protecteur des fleurs … ?

Minute ! Il n’a pas dit boire … Il a dit manger. Sous le cout de la surprise et de l’effroi, j’ai un instant de battement. Puis vient la crise d’hystérie. « Non ! » Je crie, je suis seul dans cette fichue ruelle mais je n’en ai cure. Plus aucune barrière. Malgré mon estomac qui se souleve encore à espace régulier, tout mon être refuse cette proposition. « Jamais je ne ferai ça ! Jamais je ne pourrais ! » Je hurle presque, je ne sais pas à qui je m’adresse ainsi en regardant le ciel, essoufflé. Dieu ? Dragos ? Le premier qui passera ? Je tente de reprendre mon souffle en vain, m’étouffant à moitié avec le vomi qui sort encore de ma bouche à intervalle de ma bouche. Déjà boire du sang était inimaginable, alors le cannibalisme ? Impossible ! « Ca ne marchera pas … » Ma voix n’est plus qu’un murmure, je n’en peux plus. Après la fièvre de la fusion, maintenant ça …

« Je ne voulais pas vous déranger … Tout va bien ? » Je me retourne et sursaute en constatant que quelqu’un a assisté à ma débâcle. La voix masculine provient de l’autre bout de la ruelle. Je recule instinctivement d’un pas. Je me dois de le rassurer, de le convaincre qu’il n’est pas nécessaire d’appeler les petits hommes en blanc. L’asile ? Très peu pour moi. Et puis j’ne connais un qui ferai un carnage pour s’échapper de là. « Non … Non tout va bien. » Ma voix n’est qu’un murmure, râpeuse à cause de ma régurgitation intempestive. Le visage à demi dans l’obscurité, j’ai parfaitement conscience de ne pas être à mon avantage. Cependant, je n’ai aucune envie de faire face à cet inconnu à moitié arrosé de vomi. Dans ma tête, Dragos, tout à fait réveillé me grogne des ordres à ne plus finir. Il me reproche principalement cette position de proie, de bête traquée qu’instinctivement j’ai prise. Aussi, lorsqu’il tente de prendre contrôle et d’attaquer le premier, le mal de crane qui en résulte me fait vaciller.

«Je pensais que tout était sous contrôle.» Son air était grave. C'était si rare que sa légèreté faisait place à une telle expression. Ses associés et avocats se trouvaient autours de la table de réunion. «Vous me disiez qu'organiser cette soirée ferait avant de la bonne publicité pour la fondation. Que c'était avant tout caritatif...Comment des journalistes ont pu salir nos intentions aussi aisément au point que la population croit à ces inepties?» Sa main serra cette croix à son cou. Ce symbole que tous associaient au christianisme, mais qui pour lui revêtait le sens initial: unir la terre et le ciel en son centre, à savoir l'humain. Mais peu de personne avaient ce genre de considération. On préférait prendre tout cru ce qui existait. On ne voulait surtout pas questionner de peur des réponses que l'on pourrait y trouver. Désolant. Cela l'était à de nombreuses reprises, et pourtant même en cette journée il n'avait pas envie d'exploser de colère malgré l'agacement que l'on pouvait ressentir. Ce fut Mark, un associé, qui prit la parole le premier: «Cela fait tout de même de la publicité, même si ce n'est pas celle que nous visions à la base...» Orfeo se leva, une main levée face à lui en pointant ses associés de la main. «Soyons clair...vous ne connaissiez pas ces répercussions? Parce-que à vous entendre, j'ai la sensation que c'est ce que vous vouliez depuis le début...et ça voyez-vous, j'ai beaucoup de mal à le comprendre.» Les causes que la fondation défendait n'avaient d'importance que pour lui? Il se posait la question lors de cette réunion qui prenait des perspectives qui ne le ravissaient pas. «Faîtes en sorte de démentir et je donnerai...encore, une interview pour expliquer la vérité. Même si l'opinion publique a l'air de vouloir nous condamner comme une secte.» Il fut alors convenu que les avocats fassent le maximum, comme à leur habitude. Simplement il était fatigué dernièrement de devoir régler ce genre de choses plutôt que d'être réellement utile pour l'humanité.

C'est ainsi qu'il demanda à ce qu'on le laisse seul et qu'il parti en direction du Washington Park. Il avait besoin de nature, d'être uniquement Orfeo et non pas Théophane, en souhaitant que personne ne le reconnaisse. C'est ainsi qu'il marchait dans les rues attenantes au parc avant de remarquer un skater qui s'engouffra dans une ruelle. Son sixième sens ne l'ayant jamais trahi, il décida d'aller vérifier que tout allait bien, car il était persuadé l'avoir vu se tordre de douleur. Chose à laquelle il ne pouvait qu'être sensible. C'est ainsi qu'il arrive aux abords de la ruelle et qu'il entend manifestement que le jeune homme vomit. C'est même plus que ça, quand il arrive à le voir, il se vide littéralement en des spasmes violents. Mais le plus surprenant est qu'Orfeo constate que tu t'adresses à "quelqu'un". C'est indubitable vu la "discussion" à sens unique dont il est le témoin. Il n'avait aucune idée de ce dont tu ne serais pas capable, mais ce dont il était certain c'était que ton ventre ne voulait pas se calmer. C'est ainsi qu'il s'approcha, ne voulant pas te surprendre, mais soucieux de ton état: «Je ne voulais pas vous déranger...tout va bien?» Il remarque ton pas de recul. Il note ta main qui se lève vers ta tête. Il devrait se méfier. Pourtant, il n'a pas ça dans le sang. Pas à cet instant. Malgré ta réaction de bête traquée, il s'obstine à vouloir y voir qu'un jeune adulte qui a un problème, malgré tes paroles qui ne l'ont pas rassurées pour autant.

«Ce n'est pas ce que je remarque...» Plus il se rapprochait, plus il se rendait compte de tes gestes plus violents, comme si tu menais un combat à l'intérieur de toi. C'est ainsi que n'ayant pas ton attention sur lui, il décida de dessiner une rune dans les airs, afin de se préparer à toute éventuelle attaque de ta part. Cela ne lui prit que quelques instants, avant qu'il ne reprenne la parole: «Je m'appelle Théophane, et toi comment t'appelles-tu?» Personnifier le plus possible l'échange, c'était une des bases. Face à un humain en tout cas. Il était bien loin de se douter qu'il n'avait pas que toi en face de lui, mais aussi un vampire millénaire. Cela changeait définitivement la donne.  

« Je ne voulais pas vous déranger...tout va bien ?» Tout à coup, c’est le calme plat. Plus rien d’autre n’a d’importance. Dans cette folle course au pouvoir, je n’ai jamais pensé un seul instant pouvoir résister à un être vieux de plusieurs siècles. Après tout, je lui ai bien offert ma vie quand je n’avais plus l’intention d’en profite. Au loin, il me semble parvenir les mots de quelqu’un, un inconnu, un malheureux qui s’est retrouvé là au mauvais endroit au mauvais moment. Cela me fait de la peine, cependant je n’ai plus la force ni la volonté de lutter.

Aussi je m’abandonne. La sensation est indescriptible, la douce domination de Dragos semble me purifier de l’intérieur. Mes mouvements s’apaisent, mon souffle se calme et les battements de mon cœur se régularise. « Je m'appelle Théophane, et toi comment t'appelles-tu ?» Une part de moi a envie de fermer les yeux sur la catastrophe imminente que je sens arriver. J’assiste désormais spectateur à la suprématie du vampire.

En entendant le prénom de la proie, je penche la tête sur le côté. Les humains sont devenus bien poli depuis la dernière fois que Dragos les a rencontrés, depuis son emprisonnement dans la Fosse à dire vrai. Ses yeux, les miens, sont probablement blancs à l’heure qu’il est mais je sais qu’avec l’obscurité ambiante, le dénommé Théophane n’a pas encore eu l’occasion d’apercevoir cette particularité. Pas encore tout du moins, mais il va sans dire qu’il l’apercevra bien assez tôt. Cela sera d’ailleurs probablement la dernière chose qu’il verra avant que le voile de la mort ne s’abatte sur lui.

Mon corps se redresse sans que je n’en ait volontairement donné l’ordre. Je parais tout de suite plus grand, plus spectaculaire et plus majestueux. Comme un roi. Tout chez Dragos me rappelle un souverain sanguinaire. Je crois que cette réflexion l’amuse mais il ne m’a jamais donné aucune information contraire ou affirmant mes propos. Je fais quelques pas assuré vers la proie. Une douleur violente me tord l’estomac. « Théophane » Ce nom roule sur ma langue, il a beau être prononcé par ma propre voix, celle-ci me parait plus forte, plus suave avec un soupçon d’accent. Europe de l’Est peut-être ?

Sans préavis, mon corps s’élance sur le sien, mes mouvements sont fluides et assurés. Je sais parfaitement que Dragos possède des pouvoir qui me font frémir et qu’il aurait pu utiliser dans ces circonstances. Pourtant la faim le rend imprudent. Sortant de l’obscurité pour me jeter sur le pauvre Théophane, toutes les caractéristiques physiques de ma possession sont désormais clairement visibles. Au fond de moi, j’espère sincèrement que cet homme va être capable de stopper le poids lourd à grande vitesse qui va lui tomber dessus dans moins d’une seconde. D’un autre côté, je ne suis pas sûr d’être capable de survivre à cela une nouvelle fois. Alors, tout au fond de ma conscience, je ferme les yeux sur ce qui va se produire à cet instant.