miss me ? ‹ Leslie

Est-ce que vous savez quelle heure il est? Non. Sérieusement. Quelle heure est-il? Mon horloge murale n'a plus de pile, mon téléphone est planqué sous mes papiers et mon ordinateur... n'a surement plus de batterie depuis longtemps, au moment où j'ouvre les yeux.
Je me suis installé à ma table aux alentours de quatorze heures, après avoir mangé. L'ordinateur portable ouvert et allumé, mon téléphone juste à côté. Quelques dossiers à portée de main. Bref, tout aussi bien rangé et aligné que chez un serial killer. J'ai commencé à travailler, m'étant imposé une certaine rigueur durant l'été. C'est facile de tomber dans le rythme des fêtes et des soirées, surtout pur moi, alors je tente d'être sérieux de temps en temps. Et je l'ai été. J'ai bossé toute la journée, mais à un moment... J'en sais rien, j'ai eu un coup de barre. Et allez savoir quelle tornade a envahi mon appartement.

À mon réveil, lorsqu'on tape à la porte, les papier sont étalés partout, certains même par terre. Par moi, certainement, vu qu'ils ont l'air de suivre une organisation logique, mais "bordélique" pourrait bien caractériser la chose, d'un œil extérieur. Je retire une feuille collée à mon visage par un peu de bave sèche, inconscient de l'état de mes cheveux. Une partie est aplatie, l'autre totalement éclatée. J'ai dormi sur la table, assit sur ma chaise, et j'ai l'impression que l'air lui-même a revisité ma coiffure. Les petits yeux et la bouche pâteuse, j'abandonne mon post pour me traîner jusqu'à la porte.

Forcément sans attendre de visiteur, je porte un simple t-shirt Superman et un short noir, la plante de mes pieds profitant de la fraîcheur du sol pour me réveiller un peu. Enfin, jusqu'à ce que j'ouvre la porte et que ce que je vois m'aide bien plus encore. - Смотри, кто там, приятель? - What. Mon regard fixe l'homme. Mon oreille teinte. Mon cerveau entend le russe sans arriver à décrypter.

What?!

Il écarte les bras et le temps parait s'allonger d'une éternité alors que seulement une ou deux secondes ne s'écoulent. Certainement. Je crois. - Quoi, tu vas me dire que je ne t'ai pas manqué ? - AAAAAAAAAAAAAAAAL! - Tant pis pour les voisins ou nos oreilles, l'information est enfin arrivé jusqu'au truc qui me sert de cerveau. Je bondis en avant pour le prendre dans mes bras. L'y piéger et l'y broyer. Est-ce qu'on sautille comme deux adolescentes en plein milieu du couloir? Peut-être. Vous saurez jamais. Bon ok, y'a des caméras de surveillance, mais vous saurez jamais.

Tu m'as pas dis que tu passais en ville! Enfoiré! - Comme le commun des mortels le sait, les amis s'insultent en face et se badent en cachette. Vous apprendrez donc que nous ne nous cachons rien. Je l'aime, mon salopard. D'ailleurs, je le lâche enfin. Pour attraper son visage entre mes mains. - Блин, как я скучал по твоему милому лицу! - Dis-je avec un large sourire avant de le lâcher enfin, pour de vrai cette fois. - Viens, entre. Reste pas là. - La table est dans un bordel sans nom, mais le reste de l'appartement est présentable. À peu prêt. Je vis seul, ok! - Depuis combien de temps t'es arrivé? - Demandé-je en refermant la porte derrière lui. - Je te sers quelque chose?

Ça bossait dur, à ce que je vois. - Ouais, très dur. - Avais-je rétorqué avant d’enchaîner. Je dormais sur cette table, mais qui fait la différente de toute façon? - Une semaine, mais j’suis resté en PLS depuis. - Je pose mon regard sur lui, tous poils dehors et les bras ballants. Une semaine? - Et même pas un petit message? - Dis-je dans une déception exagérée. - J’ai ramené de la bière pour me faire pardonner. - Ok, you're good. - Lâché-je en prenant le pack de six pour le poser sur le comptoir de la cuisine.

Excuses acceptées le plus vite dans le monde, il y a certainement un record pour ça. Il y a un record pour tout, faut dire. - C’est qui le meilleur ? - Heeu... Moi. - Lâché-je en ouvrant un tiroir pour en tirer un calepin, un crayon et un briquet. Je dessine, je décroche, je crame et d'un geste nonchalant de la main, la rune rafraîchit la bière à vu d’œil. - Parce que je rafraîchis la bière. - Et je crois que c'est l'une des runes que j'utilise le plus, justement pour cette fonction-là. Jugez-moi, j'adore ça. Je décroche deux des bouteilles. - Mais t'es pas trop mal non plus, va. - Lui dis-je alors en lui donnant l'une des deux bières. Ça, c'était pour cette semaine sans nouvelles. Il a de la chance que je ne sois pas rancunier.

Contournant l’îlot, je viens m'installer sur l'un des tabourets et l'invite à en faire de même. - Alors? Qu'est-ce qui t'es arrivé cette semaine? Trop occupé? - D'un geste expert de la main, je dévisse la capsule et bois une gorgée de la bière à température idéale. Après tout ce travail, j'avais bien besoin d'une pause. Oui, désordonner des papiers, c'est difficile. - Mais au fait, t'es là pour combien de temps, cette fois? Que je sache comment organiser notre planning. - Je ne l'ai pas vu depuis vraiment longtemps, alors je compte bien profiter de la durée de son séjour au mieux.

J’ai chopé un truc, en arrivant ici. - Si c'est le même "truc" que tout le monde, je suis bien content qu'aille bien. D'après ce qu'on dit, certains n'ont pas eu cette chance. Enfin, il a l'air d'aller bien. Mais il ne serait pas venu me voir s'il avait encore été malade. Après tout, ça fait une semaine qu'il est là, apparemment. Et puis, c'est pas contagieux. Si?

Détend-toi, j’ai pas l’intention de repartir en Russie de si tôt, j’ai bien l’intention de rester ici un moment. - Je bloque sur ses mots, mon regard qui le fixe, la bouteille à mi-chemin. Le geste interrompu. - Shut up. - Dis-je, indécis quand à savoir s'il se foutrait pas de ma tronche. C'est pas généralement le genre de nos interactions, mais peut-être que... - Tu vas devoir me supporter, E.T. - Shut up! - Ok, cette fois, je suis tenté. - Pour de vrai?!

Il faut un instant à mon cerveau pour accepter cette nouvelle réalité, mais son regard ne trahit pas le moindre mensonge. Non, il dit la vérité. Il reste! - YES! - Crié-je en bondissant presque de mon tabouret. Ou plutôt, en manquant d'en tomber serait plus à propos. Je me rattrape à l'un de ses genoux et me réinstalle. Nul besoin de mentionner que je suis comme un chien fou à ce stade. - Mais comment ça s'fait? T'en avais marre de Moscou?? - Un instant de silence et j’enchaîne. - Je te manquais tant que ça? - Il me manquait à moi en tout cas. Chose bizarre et gênante à dire? Pas pour nous. Juste pour les arriérés du siècle dernier pas foutu d'accepter leurs émotions. - Faut qu'on fête ça!

De toutes ces minutes où il m'explique et me confirme qu'il reste à Chicago, j'ai ce sourire tenace qui refuse de libérer mes lèvres. Expression inutile à camoufler de ma joie intérieur. Parce que si en dehors je souris comme un con et ai la bougeotte, en dedans c'est feu d'artifice et parades musicales. Oh, on devrait tirer des feus depuis le toit. Quoi que c'est peut-être illégal...Whatever.

Bien sûr, la mention de sa mère fait faiblir mon sourire, juste l'espace d'une seconde. Voilà quelques mois maintenant qu'elle est décédée. J'ai bien dû la croiser une fois ou deux, lorsque je voyais Al, mais c'est bien tout le peu d’interaction que j'ai jamais eu avec cette femme. Je sais cela dit à quel point il l'aimait, c'est assez pour réveiller ma compassion. Et puis, me dire que Moscou était fade sans moi, c'est déloyal.

Toute les occasions sont bonnes pour fêter, avec toi. - Toutes les occasions sont bonnes, tout court. - Ajouté-je en levant ma bouteille pour trinquer. Il faut dire que je cherche rarement une excuse pour faire la fête. Être vivant suffit, non? - J’suis partant pour un truc tranquille ici, les bars et les boîtes, j’vais en manger assez. - Sounds fair to me. Avec son frère patron de boite, je me doute qu'il en aura vite assez. De toute façon, je préfère de loin les espaces respirables à la claustrophobie que m'inspirent parfois les boites de nuit. Ça m'arrive d'y aller, bien sûr, mais bien moins souvent que de faire une soirée chez l'un ou l'autre. Voire même faire la tournée des bars: on est plus à marcher dans la rue qu'enfermé dans les bars.

Une pizza, ça te dis ou t’es trop occupé par tes révisions ? - Si mon sourire m'avait quitté, un autre y aurait pris la place. - Oh bah j'allais y passer trois jours de plus, mais puisque tu me forces la main... - Dis-je en me levant pour contourner l’îlot et ouvrir attraper un papier plié, magnétisé au frigo. La carte d'une pizzeria voisine, usée de tout côté. - Et puis c'est pas vraiment des révisions. J'essaye d'organiser mon bordel à l'avance, parce que la présentation de thèse arrivera vite et je suis loin d'être prêt. - Il reste neuf mois, plus ou moins, mais c'est un temps qui passera à une vitesse folle.

Revenant m'installer, je laisse le prospectus devant-lui et reprend ma bière pour en boire une gorgée. Il peut en choisir une, j'ai déjà choisi l'autre. Une seule pizza est loin de suffire, et tant pis pour les sous. C'est une occasion qui mérite un petit sacrifice. - Et au fait, tu bossais pas dans un cabinet de vétérinaire là-bas? Comment tu vas faire ici?

C’est clair que si tu passes ton temps à pioncer, tu vas jamais être prêt. - Chut. J'avais déjà bien bossé. Je vais m'en sortir. - Il a raison, bien sûr. Dormir n'est pas très productif, mais j'ai le temps. Neuf petits mois. Et puis, je suis en général plutôt efficace, alors je ne m'inquiète qu'à moitié. Avec lui dans les parages, je sais que je vais être bien occupé, mais l'avoir avec moi est loin d'être un mal. Une distraction, pour sûr, mais bien plus utile qu'on le penserait. La plupart de mes autres distractions consomment pas mal de temps, d'argent et d'énergie. Oui, je parle des gueules de bois. Au moins, avec Aldrin, même si alcool il y a, je sais qu'il ne me laissera pas sortir de la ligne que je me suis imposée. Pas parce qu'il est ultra sérieux et maniaque du contrôle, mais parce qu'il me connait. Il sait ce que je veux faire, ce que je dois faire, et d'une certaine manière il m'apporte un équilibre par sa simple présence.

Lui dire que sa présence m'aide à penser correctement? Nan, ça lui monterait à la tête.

J’en sais rien encore. Alexei m’a proposé de travailler derrière son bar, le temps que je trouve autre chose. - Ouais, ça fait toujours ça en attendant. - J'aurais aimé être dans une position où je pourrais lui trouver un boulot. Je sais qu'il n'est pas vraiment dans le besoin. Être vétérinaire est plus un choix qu'une nécessité pour lui. Les animaux passent avant beaucoup. Si j'avais été installé, si j'avais ma place dans une firme ou un laboratoire, j'aurais pu l'aider je suppose. Mais si bosser derrière un bar lui convient, après tout pourquoi pas. Ça fait des verres gratuits. - J’trouverai bien une place dans un cabinet, par ici. Même à Chicago, on a besoin de vétérinaire. - Y'en a un paquet, oui. Du moment que t'es en règle pour bosser sur le territoire, avec ton diplôme et ton expérience, ça devrait pas être compliqué de trouver, je pense.

En attendant, j’veux une pizza au poulet, avec supplément bacon et fromage. - Deal. - Alors je me lève, attrape mon téléphone et lance l'appel. Est-ce que le numéro de la pizzeria est dans mes numéros rapides? Peut-être. - Oui, allo? Ce serait pour commander en livraison. - Dis-je en faisant les cents pas. - Ah, Leslie! Comme d'habitude? - Est-ce que la jeune vendeuse me reconnait à ma voix tellement j'appelle souvent?... Peut-être. - Et une poulet supplément bacon-fromage. - On a de nouvelles boites à desserts, si tu veux. - Dans le dos d'Aldrin, j'esquisse un sourire malicieux et me rapproche. Ma tête se pose sur son épaule alors que mon bras passe par dessus son épaule pour le serrer contre moi. - Mon meilleur-ami est en ville, alors soyons fous. Mets m'en deux. - Est-ce qu'on se tutoie tellement ils me connaissent? Peut-être!

Commande validée. Livraison fixée. Montant avisé. Sacrifice, j'ai dis. - C'est tout bon. - Lancé-je à Al en posant le téléphone. - Il sera là d'ici une trentaine de minutes. - La bouteille prend la place du téléphone et la bière coule à nouveau dans ma gorge. Mon regard dérive vers le jardin d'hiver. Un reflet sur quelques feuilles. - Et tu vas vivre chez ton frère, je suppose? Enfin, pour le moment? - Je me réinstalle sur le tabouret. De quelques clics discrets sur mon téléphone, sans vraiment regarde, j'envoie une musique pop plutôt mainstream se faire diffuser par les quelques enceintes disséminées dans la pièce. - J'ai une chambre libre ici, si jamais. Si tu as besoin, ou juste envie. C'est pas un soucis.