Il parait que c'est ça vieillir [ft.Irina]

« ...et peut-être lui causer avant ? T'en dis quoi, boss ? ...Boss ? Eh oh ! OH ! » Wyatt redressa brusquement la tête au cri soudain de la jeune femme assise en face de lui. « Hein ? Oh, euh, ouais... on parlait de quoi déjà ? » répondit-il en Russe. Klara poussa un soupir excédé. « Deux fois que je me répète, t'es à l'ouest aujourd'hui ! Le vieux Grigori, il a une semaine de retard sur son paiement. Il abuse, c'est pas la première fois ! Comme je sais que tu l'aimes bien, je te demandais si tu voulais lui parler avant de lui envoyer les gros bras ? » Wyatt plongea son visage dans ses mains d'un air las. Grigori tenait un commerce misérable dans les quartiers Sud. Il fomentait régulièrement des plans foireux pour devenir riche qui le poussaient à emprunter fréquemment de l'argent à la mafia. Même si ses tentatives de faire fortune tournent systématiquement mal, il a toujours remboursé comptant ce qu'il devait. Mais dernièrement, il prenait de plus en plus son temps pour rembourser ses dettes. Wyatt l'appréciait, ce vieil escroc. C'est pourquoi il a laissé coulé. Mais s'il continuait sur cette pente, il allait falloir réagir. « Allô ? T'es toujours avec moi ? Je peux y aller à ta place si tu veux, t'as l'air d'un cadavre ambulant. » Wyatt secoua la tête en guise de refus. En temps normal il serait allé voir le vieil homme pour avoir une discussion tranquille avec lui et lui donner un premier avertissement, mais aujourd'hui il n'était pas en état. « Nah, j'ai pas envie que tu lui pètes un bras. Envoie plutôt Dimitri, lui il sait ce que ça veut dire "manière douce". » Klara haussa les sourcils l'air outré. « Allez, tire-toi maintenant, je dois parler à la Krestnaya*. »

*marraine

Affalé sur sa chaise, Wyatt essayait de rassembler ses forces en prévision du moment où il devrait se lever. La matinée lui avait semblé interminable. De toute son existence jamais, au grand jamais, il n'avait eu la gueule de bois. Et celle-ci durait depuis avant-hier. C'était donc ça, le fardeau de la vieillesse ? Pourtant il n'avait pas souvenir d'avoir bu plus que de raison. Il se souvenait avoir quitté le bar aux alentours de deux heures de matin, après... blackout. Il avait fait un rêve étrange cette nuit-là. Il marchait dans une ruelle étroite quand une espèce de fumée noire est sortie d'une bouche d’égout. La fumée avait vaguement pris la forme d'une silhouette humaine avant de se disperser dans les airs et s'infiltrer dans son corps par tous les orifices. Il s'était alors réveillé en sursaut dans son lit, avec un mal de crâne insupportable et de violentes nausées. Pris d'une chiasse carabinée, il avait passé toute la journée de la veille sur le trône. Aujourd'hui il allait un peu mieux. Enfin "mieux" c'est un bien grand mot. Certes il n'était plus cloué aux toilettes, mais la fièvre, la migraine et les nausées étaient toujours là. Mais pas question de manquer à son devoir pour autant, surtout à cause d'une soirée trop arrosée. C'est pourquoi il s'était vaillamment tiré de son lit pour remplir ses obligations de la matinée. Lewis jeta un œil à sa Rolex. Il allait être l'heure. Il but d'un trait ce qu'il restait de son café avant d'appuyer ses mains sur la table pour se lever lourdement. Ses genoux qui tremblaient sous son propre poids l'agaçaient fortement. « J'ai l'impression d'avoir 120 ans putain... » marmonna-t-il pour lui-même.

Il essuya la sueur qui perlait de son front et réajusta ses lunettes de soleil qui cachaient ses yeux injectés de sang avant d'entrer dans l'arrière salle où l'attendait Irina. Il la salua avec un sourire forcé, essayant tant bien que mal d'avoir l'air normal. « Salut, la forme ? Pourquoi tu voulais me voir ? Je te préviens je peux pas rester trop longtemps, j'ai un aprem' chargé, je dois courir dans tous les sens aujourd'hui. » Tout en parlant il tira une chaise pour s'y assoir lourdement.

« Je sais... Je... sais... Arrête de hurler bon sang. » Tap tap tap tap tap tap tap tap... Mon crayon de plomb frappe frénétiquement la surface de mon bureau alors que, la tête appuyée dans la paume de ma main et le téléphone en mains libre, j'écoute ce nouvellement découvert novice m'exprimer l'état de la situation. À croire que j'ai pour sbires une bande d'incapables. « Chut. Silence. Tu la fermes et tu me laisses parler tu entends? Glupyy (abruti). » Il répond un petit oui de sa voix peu assurée alors que je soupire fortement sans cesser de faire passer tout mon agacement dans ce pauvre crayon que je malmène. « Tu vas leur répéter exactement les mots que je vais te dire, pas une once d'improvisation. Tu as déjà fait suffisamment de bêtises et prouvé que tu es tout sauf digne de confiance pour ce que tu semblais prêt à faire. Je suis déçu et fort mécontente et tu le sentiras plus que bien à ton retour. D'ici-là... » Je me redresses pour commencer à farfouiller dans mes papiers d'une main, toujours sans démordre de mon geste de profonde impatience. Tap tap tap tap tap tap tap tap... « Dit-leur que, ennemis ou non, une telle offre est ridicule et ne pourra être acceptée en ces conditions. Dit-leur également que je demande à personnellement rencontrer leur chef demain soir pour traiter de la chose plus convenablement et que me le refuser serait tout sauf à leur avantage. Je veux cet entretient. Et ne fait pas davantage de bêtises que tu en as déjà fait sinon je laisse Ava s'occuper de ton cas. Si tu nous perds le 'Safe Heaven' je te jure que tu regretteras ce qui va t'arriver. Cette femme a ma parole que mes hommes vont bien se comporter. File et je ne m'attends pas à un autre appel de ta part. Je veux une confirmation face à face. » Je brise mon crayon entre mes doigts, l'observant en me mordant l'intérieur de la lèvre avant de finalement clore l'appel. Que dois-je donc faire pour me faire comprendre de ces imbéciles? Entre ceux qui font tout le contraire de ce que je leur ai dit et ceux qui prétendre savoir ce qu'ils font, mais sont les premiers à se faire prendre et tuer, on croirait que j'ai hérité des restants de mafia de la ville. C'est honteux et ça l'a presque toujours été. Cet imbécile de feu mon mari leur laissait bien trop de liberté et visiblement huit années ne sont pas suffisantes pour les remettre sur le droit chemin. Heureusement, quelques bons éléments arrivent encore à ne pas me faire perdre totalement espoir. Celui entrant en mon bureau à l'instant même étant l'un d'eux.

Déposant les restes de crayon sur le coin de mon bureau, je l'observe entrer en fronçant les sourcils. Admirant en soupirant son front trempé et son semblant de sourire. « Tu sais qu'on me dit tout, n'est-ce pas? » Me levant de ma chaise, je contourne mon bureau pour m'asseoir à sa surface et m'approcher de mon ami par le fait même. Portant les mains à son visage, je retire ses lunettes pour observer ses yeux parlant d'eux même. « Tu ne feras rien du tout cet après-midi. Pas dans cet état. » Je me retiens de lui donner une bonne tape derrière la tête et me contente de le prendre par le bras pour l'inciter à se relever. « Tu vas gentiment aller prendre place sur le canapé qui est là, te coucher et ne pas bouger. Sérieusement... Tu as le teint d'un cadavre et tu n'es pas foutu de te reposer. À qui est-ce que tu veux faire peur comme ça? » Je secoue la tête en insistant du regard. « Si j'ai pris quelques jours de repos lorsque j'étais dans un état pitoyable en étant à la tête de cette fichue mafia, tu peux bien rester couché une journée pour te remettre. Et qu'est-ce qui ne va pas d'ailleurs? Ne me force pas à te faire avouer. » Et tout ceci est non négociable évidement. Ce que mon attitude transpire sans le moindre mal. Je ne suis pas d'humeur et ne suis pas non plus rassurée par tout ceci bien que j'apprécie sans doute de trop toute la dévotion qu'il a, palliant à l'incapacité des autres à faire un travail digne de ce nom. « Tu sais que je peux amplement me débrouiller sans toi une journée. »