Once upon an artist... || Feat. Julian

Je ne suis pas de ces enseignants qui considèrent tous leurs élèves comme un être unique au multiples prénoms à employer, qui ne voit qu’une masse de moucherons ou de numéros servant uniquement à obtenir un chèque en bout de ligne pour leur faire écouter tout ce que je pourrais si brillamment vomir à leurs oreilles en recherche de mon expertise. Je ne suis pas de ceux qui sont blasés de leur emploi et sa dynamique au point de faire le stricte minimum simplement pour faire acte de présence et mimiquer une quelconque forme de performances académiques. Peut-être un jour qui sait, dans mes vieux jours, mais assurément pas à l'heure à actuelle. Je suis plutôt cet enseignant qui a passé tout l'été dans son bureau à préparer les cours de la rentrée. Celui qui a pris la peine de trouver une façon de faire de cette année une expérience différente de l'année précédente. Celui qui s'est acharné à chercher des approches intéressantes pour fasciner les élèves et trouver une façon de réellement les impliquer. Me souvenant trop bien des enseignants m'ayant marqué, dans le bon sens du terme, lors de mes jeunes années où j'en étais encore à les écouter parler plutôt qu'être à leur place. Ceux-là même qui trouvaient une façon de nous faire rire, de nous intéresser. Ceux qui sortaient des normes pour attirer notre attention et qui ont toujours été mon modèle. Certes, il y a aussi un peu du fait que j'ai de gros contrats de faussaire en cours de vente et que je dois m'occuper pour ne pas me faire pointer du doigt, mais la motivation reste présente. Au point où j'ai envoyé un message à chacun de mes élèves en devenir avant la reprise des cours pour leur proposer une rencontre informative, autant pour moi que pour eux, afin que nous soyons tous sur la même longueur d'ondes ainsi que pour apprendre à les connaître davantage eux et leurs motivations. Pas de simple numéro pour moi, j'allais au moins faire l'effort de retenir leurs prénoms.

Julian était celui du jeune homme que j'attendais en cette journée pluvieuse où les 'squick' caractéristiques des espadrilles trempées résonnaient dans les couloirs de l'école. Assis à l'un des bureaux de ma future salle de classe, comme un élève l'aurait fait, je pianotais sur mon ordinateur en chantonnant une chanson. Mon regard passant de l'écran où je répondais à divers courriels au calepin posé juste à côté où j'avais gribouillé des esquisses en rien complètes de la ville de Barcelone à partir d'images trouvées sur le net. Jamais mes esquisses ne semblaient complètes de toute façon. Non que je n'appréciais pas le dessin ou n'étais pas doué, bien au contraire, mais tout ceci faisait parti de ma couverture de prétexter ne pas être assez doué justement. Les artistes qui n'ont pas assez de talent enseignent à ce qu'on dit. Les faussaires qui prétextent ne pas avoir assez de talent aussi apparemment. Et en un sens ça me faisait un peu mal au cœur, me disant bien souvent que j'aurais peut-être pu être bien plus que ce que je suis actuellement si je m'étais donné la peine de rester dans le droit chemin. Il était bien trop tard pour ça désormais, mais pas forcément pour tous ces artistes en devenir. Enfin... pas trop tard pour tous là où d'autres j'espérais sans doute trop arriver à corrompre.

Observant ma montre, je ferme mon ordinateur et continue de dessiner en attendant l'arrivée de mon rendez-vous du matin. Écoutant les gouttes d'eau frapper fortement contre la fenêtre de la classe. Il y avait de quoi préparer une nouvelle arche de Noé à en juger par la force du déluge.

Julian pesta contre lui même, rabattant d'un geste de la main les mèches  de cheveux trempés qui lui collaient au front. Inconvénient d'être en retard : il avait attrapé la première veste qui lui venait en sortant en trombe de son appartement. Pas de capuche à celle-ci. La pluie le trempait donc jusqu'à l'os, dégoulinant le long de son visage et imbibant peu à peu le tissu de ses vêtements. Les cours n'avaient même pas repris qu'il parvenait déjà à se mettre dans des situations stressantes vis-à-vis de la fac.

De l'autre côté de la rue, le feu passa au vert, et il entreprit de traverser la chaussée en courant à demi, sautant par dessus le caniveau qui débordait d'eau pluviale, dans l'idée de conserver ses pieds au sec, à défaut du reste. Une chance encore qu'il ai réussi à trouver un logement proche de l'université, le campus était déjà en vue. Il pressa encore le pas, dans l'idée de se mettre à l'abris le plus rapidement possible, et gagna rapidement le bâtiment abritant la faculté d'art.

L'intérieur était encore relativement vide, la majorité des étudiants n'ayant aucune raison de se trouver sur le campus avant le début du mois de septembre. Seules les semelles d'une poignée d'entre eux ainsi que des membres du personnel crissaient contre le sol des couloirs, emplissant les murs d'une symphonie de couinements plastiques qu'il aurait sûrement jugé désagréable s'il n'avait pas été concentré sur le fait d'arriver le plus vite possible à destination. Il demanda donc rapidement son chemin à l'une des employées chargées de l'accueil, et s'empressa de se rendre dans la direction indiquée, ne s'interrompant que lorsqu'il arriva en vue de la porte de la salle dans laquelle il avait rendez-vous.

Quinze minutes de retard, et il ressemblait davantage à un amas de tissu détrempé qu'à un étudiant dans la force de l'âge. Pour une bonne première impression, il repasserait... Sa main vint néanmoins toquer deux coups brefs contre le chambranle de la porte, et il pénétra dans la salle.

- Professeur Price ? Julian Hart. Je... Désolé pour le retard. J'ai été surpris par la pluie...

C'est un large sourire qui s'afficha sur les traits de mon visage lorsque j'entendis deux coups être donnés contre la porte avant de voir le visage de celui que je présumais être mon étudiant pénétrer dans la salle de classe. Regardant brièvement ma montre, je pus constater le léger retard que je n'ai pas même vu passer. Bien trop pris par mon dessin que j'étais bien qu'il ne soit encore qu'un amas de lignes et silhouettes sans grands détails, chose dont je n'avais réellement besoin. C'est toujours ainsi que j'avais travaillé, que j'avais dessiné. Débutant à la base même de l'œuvre pour en sortir chaque ligne, chaque trait significatif, afin d'en ressentir totalement l'esprit. Ils n'étaient pas que de vulgaires coups de crayons ou pinceaux placés approximativement sur une feuille ou un canevas. Ils portaient en leur totalité le cheminement d'une histoire que je me devais de raconter sans emprunter le moindre raccourcit pour que l'œuvre, en sa finalité, ne puisse qu'être confondue avec son originale. L'art étant pour moi ce que la musique était aux musiciens, une symphonie de notes où il ne fallait se tromper sous peine de briser la sonorité de la chose. « Pas de problème monsieur Hart. Permettez que je vous appelle Julian? » Je lui fais signe de venir s'asseoir près de moi sur l'une de ces chaises d'étudiants en bois surmontée d'une tablette à l'architecture douteuse. Peinant réellement à comprendre la personne qui a trouvé ergonomique et confortable la chose alors qu'il ne me semble y avoir pire pour le niveau de concentration des étudiants que cette chose sur laquelle je peine moi-même à ne pas bouger à toutes les cinq minutes dans l'espoir de trouver une once de confort à m'approprier. « Je crois que mon courriel était déjà suffisamment claire concernant mes intentions, mais permettez-moi tout de même de préciser un peu mon idée afin que vous puissiez mieux comprendre pourquoi je tenais à vous parler en personne. À vous ainsi qu'aux autres étudiants de la classe. » Je ferme mon cahier à dessin pour prendre un second cahier, celui-ci rempli de notes en tout genre, afin de sélectionner la page en haut de laquelle il est noté 'Julian Hart'. Histoire de ne pas me perdre dans mon processus pavé de bonnes intentions.

« Je sais que les cours peuvent être rapidement ennuyant et parfois même ce cours est un simple échappatoire pour éviter de participer à des cours plus... complexe disons. J'espère donc arriver à donner un peu de bon temps dans ma classe à chacun de mes élèves en cernant un peu plus amplement la raison de votre présence dans ma classe, mais aussi vos méthodologies d'apprentissage de prédilection. Il y a tant de façons d'apprendre et ce n'est pas forcément tout le monde qui aura de la facilité de la même façon. Comprenez que mon bout, en bout de ligne, reste que ce ne soit pas une corvée de venir dans ma classe et bien évidemment que chacun d'entre vous le passe avec brio. » Souriant de nouveau, je prends mon crayon et pose la main sur mon calepin en le fixant. « Alors, dite-moi, pourquoi avoir choisi ce cours? C'est simplement pour 'boucher un trou' si on peut le dire ainsi ou est-ce que vous avez un réel intérêt pour le domaine et les artistes ayant pu vous précéder. » Et déjà le trait si caractéristique de tout bon enseignant commence à transparaître dans mon discours qui n'en fini plus et le flot de mots que je ne peux plus m'arrêter de prononcer. Il le faut bien après tout si je veux arriver à couvrir des heures de cours sans ennuyer qui que ce soit. Des 'bla bla bla' n'ont jamais mené personne bien loin malheureusement et, autant j'apprécierais leur faire entrer plus amplement dans le vif créatif du sujet, autant je suis limité au morne de l'histoire de l'art sans le côté pratique de la chose. « Et dite-moi également, comment apprenez-vous le mieux? En musique? Avec support visuel? De la lecture, des vidéos, des documentaires peut-être? Ou êtes-vous simplement de ceux ayant une mémoire auditive hors du commun qui n'auront pas besoin de se concentrer sur le fait que je n'arrête pas de parler pour retenir l'important de l'information? » Il vaut mieux en rire qu'en pleurer comme on dit.